« J’AI ENTRAÎNÉ »… N. KANTÉ

Publié le 25/06/2024

Élu homme du match lors des deux premières rencontres de l’équipe de France à l’Euro, N’Golo Kanté effectue un retour fracassant sous le maillot bleu. L’infatigable milieu de terrain a débuté le football en Île-de-France, à la JS Suresnes. Piotr Wojtyna, son premier entraîneur, responsable technique des jeunes du club (et également entraîneur des U18 actuellement), évoque les années suresnoises de N’Golo Kanté. 

> La fiche de N’Golo Kanté

« A l’époque, N’Golo avait 10 ans et demi. C’était le premier entraînement du mois de septembre, quand nous faisons des tests de niveau pour les enfants. Je me souviens qu’on s’entraînait sur les terrains stabilisés avec plein de poussière. Ce qui m’a sauté aux yeux, c’est le fait que ce soit un garçon très altruiste dans le jeu, qui courait partout, récupérait la balle, allait vers l’avant. Ce n’était pas le genre de joueur qui jouait pour lui, il avait déjà une notion très collective, innée je pense. Mon premier souvenir, c’est ça, j’ai encore cette image en tête aujourd’hui.

Il sortait du lot par rapport à ce côté très actif et collectif, il récupérait la balle très facilement, anticipait. Mais pas par des exploits techniques. Il y a des joueurs qui sont doués et le montrent très jeunes, comme Elie Wahi par exemple (ndlr : il a joué de 6 à 13 ans à Suresnes). A 8 ans, il était impressionnant. Un autre joueur, Jérémy Quemener, qui a ensuite été capitaine des U17 du PSG, à 8-9 ans, c’était spectaculaire. N’Golo, je l’ai remarqué, est-ce que les autres l’ont remarqué aussi ? Je ne sais pas. Entre 6 ans et 10 ans, c’est « je joue pour moi », comme dans la cour d’école ou dans la rue, et c’est normal. Lui avait déjà cette notion innée d’être dans le jeu collectif, mais aussi une excellente anticipation et une bonne technique.

Quand il était venu faire ce premier essai, j’entraînais déjà son frère. C’est peut-être l’explication de sa venue. Après, à 11 ans, je le surclassais déjà en U12. L’année d’après, quand il avait 12 ans, je l’ai mis dans une équipe à 11, avec des U14. Donc il jouait sur un grand terrain avec des garçons qui avaient deux ans de plus que lui Ses débuts dans cette équipe n’ont pas été faciles, c’est normal. Je me souviens que je l’avais mis titulaire, puis je l’avais sorti au bout de 25 minutes. Ensuite, en deuxième période, je l’ai remis sur le terrain. Pendant la pause, je pense qu’il avait déjà compris certaines choses parce que c’était beaucoup mieux. Et au fur et à mesure, c’était encore mieux. Il était vraiment le joueur qui sortait du lot par rapport à la compréhension du jeu et, surtout, à l’attitude. Je l’ai entraîné 5-6 ans dans différentes catégories, il était même trop timide. Avec Pierre Ville, dirigeant au club, on se demandait s’il n’était pas trop timide pour percer dans le football, parce que c’est un peu la jungle, il faut être très fort. N’Golo a fait des tests dans différentes clubs professionnels à l’âge de 15-16 ans, mais ça n’a pas marché. Même pour les sélections du District, quand il a été convoqué, ça s’est terminé au premier tour. Donc c’est quelqu’un qui a un parcours complètement atypique.

Il y a une anecdote qui circule depuis toujours, je l’ai racontée dans des interviews. Au niveau du jonglage, quand on faisait des tests, il était pas mal du pied droit, mais ce n’était pas bon du pied gauche et moyen de la tête. Donc je lui ai dit, un peu en rigolant : « N’Golo, après les vacances, c’est 50-50-50 ». Au retour des vacances, il a fait les 50 jongles droit, gauche et tête.

N’Golo Kanté est le premier enfant du premier rang en partant de la gauche

Ce que j’ai vu chez lui, c’est un visage très concentré, toujours à fond à l’entraînement. Pour revenir sur sa timidité, il y a cette anecdote en U18. Il était surclassé en Seniors mais avait quand même pu jouer ce match. Il y avait un pénalty et il n’a pas voulu le tirer. C’était un enfant très discret, qui parlait peu, avec un ou deux copains dans l’équipe, mais qui était un peu dans son coin.

A 16 ans, je l’ai surclassé. J’avais dit à Tomasz Bzymek, qui est toujours l’entraîneur des Seniors du club, de le prendre parce que c’était un garçon très intéressant. Tomasz, qui a aussi eu un rôle important pour N’Golo,  l’a intégré chez les Seniors alors qu’il avait 16 ans et demi. Il s’entraînait avec eux, a commencé à jouer des matchs. Au départ, ce n’était pas un titulaire, mais petit à petit, il est entré dans l’équipe. L’année d’après, quand il avait 17 ans, il avait largement gagné sa place. C’est un joueur indispensable. Mais à l’époque, il jouait plus sur le côté, car il est très endurant et très percutant. Cela marchait à ce niveau-là. Avant, avec moi, c’était un joueur axial. Dans ma philosophie de coach, je mets les meilleurs dans l’axe parce que c’est le cœur du jeu, et les joueurs dans l’axe touchent plus souvent le ballon. Donc ce sont eux qui décident un peu l’image de l’équipe.

Dès l’âge de 14-15 ans, je me suis dit qu’il avait vraiment le potentiel pour être un joueur professionnel. Maintenant, on connaît la musique chez les jeunes : des potentiels, il y en a des milliers et il y en a très peu qui réussissent, donc il n’y a aucune garantie. Quand on entraîne, que l’on forme des joueurs, on ne peut pas dire à untel ou untel « tu vas être professionnel ». Mais, pour moi, il n’y avait aucun doute que N’Golo avait ce potentiel, sinon il n’aurait pas pu faire les essais. Mais je ne juge pas les clubs qui ne l’ont pas pris, je ne sais pas comment se sont passé ces essais. En revanche, avec ce que j’ai pu voir chez nous, au club, avec les Seniors ou mes équipes, je n’avais aucun doute. Heureusement qu’il est resté chez nous. Cela fait 25 ans que je suis au club, j’ai eu des garçons plus doués que lui qui partaient, mais malheureusement, la tête ne suivait pas. Ici, chez nous, il a été protégé. Il a été surclassé, a joué. Quelque part, on l’a guidé. Quand il avait 17-18 ans, il s’entraînait avec moi et avec les Seniors, ça lui faisait cinq entraînements par semaine. Et il ne manquait pas les entraînements. Quelque fois, il n’était pas à l’heure mais ce n’était pas méchant, et je savais qu’il aidait beaucoup sa famille, sa sœur me l’expliquait quand je l’avais au téléphone. N’Golo, c’était une bonne personne, l’un des joueurs les plus attachants que j’ai pu avoir. Et même plus tard, quand je suis venu le voir deux fois à Londres, c’était un grand plaisir de parler, partager avec lui.

Je suis en contact avec lui une ou deux fois par an, on s’envoie des messages. Je suis aussi en contact avec son jeune frère, que j’ai entraîné et qui est très sympa.

Je ne crois pas qu’il aurait eu ce parcours s’il était parti à 15-16 ans, parce que je sais comment fonctionnent certains clubs, qui utilisent plutôt des joueurs pour faire des montées, des résultats, mais qui ne s’occupent pas trop des personnes individuellement. Nous nous sommes occupés de lui, j’avais la certitude qu’on n’allait pas « l’abîmer ». Si j’avais été obsédé par les résultats de mon équipe, j’aurais pu ne rien dire à l’entraîneur des Seniors. Et on fonctionne comme ça avec tout le monde, pas seulement avec N’Golo.

On me demande toujours si je suis fier. En tant que coach, je l’ai traité comme tout le monde et je suis surtout content qu’il ait réussi. Humainement, je suis très heureux d’avoir eu l’occasion d’entraîner un joueur comme lui, parce que ce n’est pas donné à tout le monde. Les coachs dans le monde amateur, nous sommes des milliers. Mais tout le monde n’a pas eu N’Golo Kanté. Dans notre club, Tomasz Bzymek l’a entraîné en Seniors, Etienne Ridet l’a eu en U16 une année et je l’ai eu pendant 4-5 saisons en ayant été son premier coach. Et je ne l’ai pas quitté des yeux pendant tout son parcours à Suresnes, même quand il n’était pas dans mon équipe. Mais je ne veux pas dire que c’est grâce à moi, juste que je l’ai eu plusieurs années. Il a quand même passé toute sa formation à Suresnes, avec différents coachs, pas dans un club professionnel.

N’Golo à l’Euro, c’est extraordinaire. Quand j’ai appris qu’il était pris dans la liste de l’équipe de France, j’étais stupéfait. C’était une formidable nouvelle. Quand il est parti en Arabie Saoudite, je l’avais vu au moment d’une trêve internationale. Je lui avais parlé de l’équipe de France, il m’avait dit : « Je ne sais pas, on verra ». Mais je sentais qu’il pensait que ce serait difficile d’être appelé. Mon regard extérieur, c’est qu’en Angleterre, il jouait dans un championnat épuisant mentalement et physiquement, qui est usant psychiquement. En partant en Arabie Saoudite, il s’est un peu exilé, mais il a peut-être aussi pu se reposer et se remettre un peu en état à tous les niveaux. Et au niveau du jeu, il m’a dit qu’il aimerait bien finir sa carrière en jouant un peu plus haut, participer plus aux actions offensives pour prendre du plaisir. C’est un joueur qui aime ça. C’est ce que l’on voit maintenant aussi en équipe de France, il ose beaucoup plus. Il l’a déjà fait à Chelsea, ce n’est pas nouveau et il est capable de le faire. C’est extraordinaire ce qu’il se passe pour lui, je suis très heureux de le regarder jouer et je pense que c’est le cas pour tous les supporters de l’équipe de France et tous les gens qui aiment le foot. Tous doivent être ravis de voir N’Golo avec cet état de forme, cet enthousiasme, cette générosité, tout cet apport offensif et défensif. C’est un vrai plus pour l’équipe de France, j’espère qu’ils vont aller au bout. C’est le dernier trophée qui manque à N’Golo.

Par rapport à ce match contre la Pologne, je lui avais envoyé un message quand il a été convoqué en lui disant : « Bravo, mais ne fais pas mal aux Polonais » (rires). »

Par Florent PIASECKI

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