Les semeuses ont planté la première graine

Publié le 01/02/2019

C’est le premier grand rendez-vous organisé dans le cadre des animations pour la prochaine Coupe du Monde féminine. La Ligue a tenu, samedi matin, son colloque intitulé « les Semeuses de la République ». Un événement tant par le prestige du lieu où il s’est déroulé, le Palais du Luxembourg, que par la qualité des intervenants qui ont balayé les champs sportifs, sociétaux et géopolitiques du développement du foot féminin en échangeant avec les clubs franciliens mais aussi avec les élus présents au premier rang desquels Anne Hidalgo, la Maire de Paris, qui avait répondu à l’invitation de la Ligue.

«Que les jeunes filles fassent du sport entre elles, dans un terrain rigoureusement clos, inaccessible au public : oui d’accord. Mais qu’elles se donnent en spectacle, à certains jours de fêtes, où sera convié le public, qu’elles osent même courir après un ballon dans une prairie qui n’est pas entourée de murs épais, c’est intolérable ! » Voilà ce que déclarait Henri Desgrange, grand journaliste leader d’opinion et par ailleurs créateur du Tour de France dans les années 20 à propos du football féminin. Une déclaration surréaliste alors même que, comme le souligne Bruno Fouchet, Vice-Président délégué de la Ligue, dans son propos introductif du colloque « le football féminin réunissait au début du siècle 45 000 spectateurs dans des stades en France comme en Angleterre. Aujourd’hui le football féminin est dans une année charnière de son évolution. A la ligue depuis six ans nous nous engageons pleinement et entièrement dans le développement du foot féminin. C’est une volonté sans faille et sans limite impulsée par Jamel Sandjak. »  

Le Président de la Ligue qui rappelait que « Participer activement et pleinement à la mutation de notre monde pour qu’il se vive et s’écrive autant au féminin qu’au masculin, sans frontière, sans limite et sans préjugé de genre, voilà le combat dans lequel s’est inscrite résolument la Ligue depuis six années. Elle n’a cessé de promouvoir la féminisation de notre sport, tant dans la représentativité de ses instances que dans ses initiatives constantes pour favoriser le développement du football féminin. L’avenir est là, et le symbole de la Coupe du Monde féminine, l’accroissement constant des licenciés, l’engouement du public pour le football féminin sont autant de signes qui disent combien nous avions raison. Rendre hommage et commémorer le rôle des femmes est évidemment nécessaire, dire l’égalité femmes-hommes est indispensable, mais rien ne changera si nous ne faisons pas vivre dans les faits cette égalité au quotidien »

Et cela passera par une mobilisation de tous. Les institutions et notamment la FFF, les clubs, amateurs comme professionnels puisque le PSG et le PFC étaient présents, mais aussi les collectivités locales avaient répondu à l’invitation. Et quel lieu plus symbolique pour évoquer ces sujets que le Sénat « la maison des collectivités locales » comme le rappelait Rachid Temal, Sénateur du Val-d’Oise et passionné de foot, qui a œuvré pour que le colloque se déroule dans cet endroit si prestigieux. « Le foot et la politique marchent souvent ensemble. Dans l’histoire les liens existent entre la politique et le foot. Le foot n’est pas celui qui cristallise les problèmes, il est souvent révélateur de tensions mais aussi des belles valeurs qui traversent notre société française. Le foot est un sport universel mais nous n’avons pas été jusqu’au bout en laissant la moitié de l’humanité de côté. Le développement du foot féminin est donc un véritable enjeu. Le foot est central dans la vie du pays. Il unifie, rassemble. C’est un enjeu de mixité de sexe et social. »

Les aspects sociaux et sociétaux étaient au cœur des débats. Le sujet de la laïcité et une réflexion sur le cadre juridique de la gestion des faits religieux dans la pratique du football féminin ont été présentés par Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité. Carole Gomes, chercheuse à l’IRIS, coordonnatrice du projet UNESCO / UNFP sur le football, lui succédant à l’estrade pour évoquer la féminisation du football désormais enjeu géopolitique, tandis que Patrick Mignon, sociologue ancien responsable du laboratoire de sociologie de l’INSEP et membre du comité scientifique de sport et citoyenneté livrait son regard sur la place des femmes dans le foot sous l’angle sociétal.

A l’issue de ces trois interventions un débat s’est engagé, sous la houlette de Jean-Frédéric Pianelli, entre les clubs et les trois experts. Un dialogue riche où les problématiques de la sécurité d’accueil des jeunes filles, le manque d’installations ou les barrières culturelles qui existent encore ont été soulignés par les représentants des clubs.

Les nombreux élus de la République, présents samedi, dont Céline Boulay-Esperonnier, Sénatrice de Paris et co-rapporteure de la Délégation des Droits des Femmes et Othman Nasrou, membre du Conseil Régional, ont également pu échanger avec eux. Patrice Leclerc, Maire de Gennevilliers, a ainsi rappelé que repenser les questions d’urbanisme afin de répondre aux problématiques du manque d’installations était une priorité. La nécessité d’une mixité sur les terrains mais aussi dans les comités de direction a également été soulignée, tandis que Karl Olive, Maire de Poissy et ancien patron des sports de Canal +, après avoir remercié la Ligue pour son initiative, a insisté sur la projection médiatique indispensable pour le développement de ce football féminin. Evelyne Ciriegi, Présidente du CROSIF mettant le doigt, pour sa part, sur la nécessité d’ouverture de la discipline à un maximum de jeunes filles sans que leur religion et leur pratique religieuse ne soient un frein.  

Des échanges nourris qui se sont poursuivis par l’intervention très attendue d’Anne Hidalgo. La Maire de Paris s’est voulue d’emblée optimiste en affirmant que « Si nous parlons de cette féminisation c’est que les choses bougent. Il y a plein de bonnes nouvelles. Dans le cadre des JO 2024 nous avons porté l’idée que le sport pouvait apporter énormément à la société française. Nous avons réfléchi sur le désir de voir le sport tenir une place plus importante. Le sport c’est une discipline, une école de vie. On apprend à tomber, à se relever, c’est une école de partage. Aujourd’hui nous sommes prêts, les politiques, les médias, les citoyens. Cela passera par le sport féminin car les filles ont envie. Elles en ont assez d’être reléguée au second rang. Nous avons envie que les filles s’engagent dans le sport sans stéréotype de genre. Nous sommes mûrs. Le déclic est là. On doit tous pousser dans le même sens et dans cet objectif le soutien de la Ligue et de son président Jamel Sandjak est essentiel. Les JO comme la Coupe du Monde seront des moteurs qui obligent à produire des choses et à penser en termes d’héritage sur les infrastructures. Il faut se donner les moyens même si nous rencontrons des difficultés dans la politique d’investissement. Nous avons un boulevard pour avancer. La société française s’interroge sur elle-même, sur la façon dont on vit ensemble. On peut en sortir quelque chose de positif. La parole se libère et c’est le bon moment pour mettre le sport et le foot féminin au centre du jeu. Se priver de la moitié de l’humanité c’est se priver d’avenir. Le rôle du sport féminin est majeur et le foot est si populaire que c’est un patrimoine culturel humain, un vecteur pour avancer et faire évoluer la société française. »

« Tous ensemble nous sommes liés » a conclu Ahmed Bouajaj, le Secrétaire Général de la Ligue, et « tous ensemble, Ligue, clubs, collectivités nous y arriverons. » Un discours entendu et apprécié par les principaux acteurs de cette féminisation que sont les clubs. Des clubs qui, à la fin de ce colloque, ne cachaient pas leur satisfaction. A l’image de Fatima Amaria, Vice-Présidente du RCF Argenteuil : « Nous ne pouvons que saluer l’initiative de ce colloque et je trouve que le titre  « les Semeuses de la République » est particulièrement bien choisi. Les intervenants étaient de qualité. A titre personnel j’ai appris énormément de choses. On voit qu’il y a encore beaucoup de travail mais que le processus est amorcé. Nous y contribuons au sein des clubs. Chez nous, par exemple, nous avons pris la décision de faire la licence gratuite pour les féminines. Parce qu’il ne faut pas que l’argent soit un frein à la pratique. Nous sommes un club très populaire. Et dans les familles lorsqu’il y a déjà un ou deux garçons qui veulent jouer au foot quand la fille derrière dit moi aussi j’aimerais jouer, les parents peuvent être tentés de dire que le foot c’est pour les garçons. »  Des initiatives comme celle-ci doivent se multiplier. Dans une période où les débats sont plébiscités nul doute que celui de samedi aura fait avancer la cause du football féminin.           

Par Cyrille Legendre

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